Sommaire
Quand on a un chien qui présente des troubles de comportement, on peut se demander quelle est notre part de responsabilité, et si ces traits ont une origine génétique ou totalement déterminés par l’environnement et la socialisation. Est-il possible de prédire ces traits pour mieux choisir son chien ?
L’Agressivité et l’Anxiété chez le chien : Définition et Origines
L’agressivité se définit comme un ensemble de comportements et de réactions hostiles ou défensives, déclenchés par la perception d’une menace ou d’un danger. Ces comportements peuvent viser à défendre un territoire, des ressources, ou une position sociale, mais aussi à protéger l’individu contre des menaces perçues, souvent en lien avec la peur. Robert Hinde, qui a étudié la relation entre peur et agressivité, a montré que l’agressivité peut être motivée non seulement par des objectifs offensifs, mais aussi par une réponse à la peur, où l’individu attaque pour se protéger ou pour prévenir une agression perçue.
Quant à l’anxiété, elle se définit comme un état émotionnel de vigilance accrue et d’inconfort, souvent associé à une anticipation de danger ou de menace. Contrairement à la peur, qui est une réponse immédiate à un stimulus spécifique, l’anxiété se manifeste en l’absence d’une menace directe identifiable. Elle se caractérise par une préparation comportementale à des situations perçues comme potentiellement dangereuses, même si le danger n’est pas immédiatement présent. L’anxiété joue un rôle adaptatif, permettant à l’individu de se préparer à réagir rapidement face à des dangers imprévus, mais elle peut aussi entraîner une dépense d’énergie inutile et des interactions sociales altérées.
L'héritabilité des traits de comportement chez le chien : un voyage dans le temps
Comment mesure t-on l’héritabilité chez le chien ?
L’héritabilité d’un trait comportemental se mesure souvent à l’aide d’un coefficient d’héritabilité.
Ce coefficient quantifie la proportion de la variation d’un trait au sein d’une population qui peut être attribuée à des différences génétiques. Ce coefficient varie entre 0 (tout est dû à l’environnement) et 1 (tout est dû à la génétique).
Il existe plusieurs méthodes pour étudier l’héritabilité de traits de comportements :
- Pour certaines études, des groupes de chiens sont sélectionnés et élevés sur plusieurs générations 🔁 en fonction de traits spécifiques (par exemple, niveaux élevés ou faibles d’agressivité). Les comportements de ces chiens sont observés et enregistrés dans des situations contrôlées (par exemple, leur réactions à des étrangers, leur tendance à défendre leur nourriture, ou encore leur réponse à la séparation avec leur propriétaire. Ensuite l’analyse statistique permet de quantifier l’héritabilité en estimant la proportion de variance phénotypique attribuable à la variance génétique.
- Certaines études se sont également concentrées sur l’étude de jumeaux et de familles 👨👩👦👦 pour évaluer l’influence des gènes en comparant les similitudes comportementales entre les chiens apparentés, par exemple issues de portées de la même mère. Ainsi ces études permettent de comparer les comportements d’anxiété et d’agressivité chez des chiots issus de la même portée (même mère et père) par rapport à ceux issus de portées différentes. L’analyse statistique va alors permettre d’estimer l’héritabilité en observant la corrélation des traits entre chiens apparentés par rapport à des chiens non apparentés.
- D’autres études encore se sont concentrées sur l’identification de parties spécifiques du génome 🧬, qu’on appelle des loci, associées à l’agressivité et à l’anxiété. Pour cela, les chercheurs collectent des échantillons d’ADN de nombreux chiens avec des comportements bien caractérisés d’agressivité ou d’anxiété. Les données génomiques sont analysées pour identifier des variations génétiques qu’on appelle des SNPs et qui sont en fait des variations des bases azotées qui constituent les éléments fondamentaux de l’ADN, et qui peuvent être associées à des traits comportementaux spécifiques. Ces études permettent d’identifier les gènes ou les régions chromosomiques qui pourraient être impliqués dans la régulation de ces comportements.
- Une autre façon de s’intéresser à la question de l’héritabilité génétique de traits comportementaux est de mesurer de manière objective et reproductible 📊 les niveaux d’agressivité et d’anxiété chez les chiens pour les corréler avec des données génétiques. Les chiens sont soumis à une série de tests comportementaux standardisés (comme le « Canine Behavioral Assessment and Research Questionnaire » ou des tests de situation, comme l’exposition à un étranger menaçant ou un bruit soudain), et les réactions sont enregistrées et évaluées selon des critères prédéfinis. Les résultats sont ensuite utilisés pour explorer la relation entre le comportement observé et les antécédents génétiques des chiens.
- Finalement, il existe aussi des études longitudinales, c’est-à-dire qui s’intéressent au mêmes individus ou groupes d’individus sur une longue période de temps ⏳. Les individus sont observés, testés ou mesurés de manière répétée afin de suivre l’évolution de certaines variables ou caractéristiques au fil du temps, ce qui permet d’analyser les changements, les tendances et les facteurs qui influencent ces évolutions.
Etudes menées sur l'héritabilité du chien et résultats
« Genetics and the Social Behavior of the Dog » (Scott & Fuller, 1965)
Scott et Fuller ont conduit une série d’expériences exhaustives sur cinq races de chiens : le Basenji, le Cocker Spaniel, le Shetland Sheepdog, le Beagle et le Fox Terrier. Ces races ont été choisies pour représenter une diversité génétique et de comportement.
👨🔬 Méthode : Les chercheurs ont utilisé des croisements entre ces races pour étudier les variations comportementales chez les chiots issus de ces croisements. L’étude a duré près de 13 ans et s’est concentrée sur l’observation du développement comportemental des chiens, depuis leur naissance jusqu’à l’âge adulte. En tout, ils ont observé plus de 400 portées, analysant plusieurs aspects du comportement, tels que l’agressivité, la sociabilité, la réponse à l’entraînement, ainsi que les différences dans le développement social et cognitif des chiots.
📊 Résultats :
- Les résultats de cette étude ont montré que la sociabilité envers les humains avait une composante génétique importante. Par exemple, les chiots de Beagle, une race réputée pour sa sociabilité, montraient une tendance plus élevée à interagir avec les humains, et ces tendances étaient en grande partie héritées par leurs descendants.
- Le trait “sociabilité envers les autres chiens” présentait également une héritabilité significative, par exemple les Beagles étaient naturellement plus enclins à bien s’entendre avec leurs congénères, alors que les Fox Terriers, avaient des comportements plus territoriaux ou agressifs, ces tendances étant transmises génétiquement.
- Concernant l’agressivité, les niveaux variaient considérablement entre les races. Par exemple, les Fox Terriers, avaient une propension génétique à l’agressivité. Scott et Fuller ont démontré que l’agressivité pouvait être partiellement prédite en fonction de la lignée génétique des chiens. Les chiots issus de parents agressifs avaient une probabilité plus élevée de développer des comportements similaires.
- Autre fait intéressant, les chercheurs ont observé que certaines races, comme les Shetland, étaient plus facilement entraînables que d’autres. Les croisements entre les races montraient souvent une réactivité intermédiaire ou variée à l’entraînement, ce qui selon eux confirme une origine génétique.
« Genetic Analysis of Fearfulness and Its Association with Anxiety in Dogs » (Goddard & Beilharz, 1984)
Une vingtaine d’années plus tard, en 1984, Michael E. Goddard et Rolf G. Beilharz ont mené une recherche aujourd’hui toujours considérée comme fondamentale, sur la composante génétique des comportements liés à la peur et à l’anxiété.
👨🔬 Méthode : Les chiens étudiés étaient issus de races et de lignées sélectionnées pour des caractéristiques spécifiques. L’étude a impliqué plusieurs générations de chiens, ce qui a permis une analyse détaillée de la transmission des traits comportementaux à travers les lignées.
📊 Résultats :
- Les résultats ont montré que la peur chez les chiens présentait une héritabilité généralement comprise entre 0,3 et 0,5. Cela signifie qu’entre 30 % et 50 % de la variation observée dans les comportements liés à la peur pouvait être expliquée par la génétique.
- Les chiens ayant des parents craintifs avaient une plus grande probabilité de montrer eux-mêmes des comportements craintifs.
- Les résultats ont également montré une forte corrélation entre la peur et d’autres traits liés à l’anxiété. Les chiens qui manifestaient des comportements craintifs étaient également plus susceptibles de présenter des signes d’anxiété, ce qui montre une association génétique entre ces traits.
- L’anxiété, comme la peur, a montré une héritabilité modérée à élevée, renforçant l’idée que ces traits partagent une base génétique commune.
« The Genetic Contribution to Canine Personality » (Saetre et al., 2006)
Cette étude s’est intéressée particulièrement à l’agressivité chez les chiens de travail.
👨🔬 Méthode : Les chercheurs ont choisi des chiens de race élevées pour la garde, la recherche et le sauvetage, et l’assistance.
📊 Résultats :
- Les chercheurs ont trouvé un coefficient d’héritabilité de 0,77 pour l’agressivité, ce qui veut dire que 77 % de la variation de l’agressivité entre les individus dans cette population spécifique peut être expliquée par des facteurs génétiques.
- La réactivité ou la sociabilité ont montré des coefficients d’héritabilité plus modérés, souvent compris entre 0,2 et 0,5, ce qui suggère une interaction plus équilibrée entre les gènes et l’environnement pour ces traits de comportement.
« Heritability of Behavioral Traits in Labrador Retrievers and Golden Retrievers » (van der Waaij et al., 2008)
Cette étude portait sur l’héritabilité de divers traits comportementaux chez le Labrador et le Golden Retriever. Cette recherche aussi s’est particulièrement concentrée sur l’agressivité, mais aussi sur d’autres traits de comportement comme la sociabilité, la peur, la réactivité aux stimuli, et la capacité d’entraînement, entre autres.
📊 Résultats :
- Les coefficients d’héritabilité pour l’agressivité se situaient généralement entre 0,2 et 0,4, bien en dessous des valeurs mesurées dans l’étude de 2006.
- Les autres traits de comportement étudiés ont également montré une composante génétique mais plus faible que pour l’agressivité.
- Quant à la capacité d’entraînement, elle a montré une héritabilité modérée à élevée, ce qui est intéressant pour les éleveurs de lignées de travail. Fait intéressant, bien que les Labrador et les Golden soient des races étroitement apparentées, des différences ont été observées dans l’héritabilité de certains traits comportementaux entre les deux races, ce qui souligne l’importance de considérer chaque race individuellement lorsque l’on évalue l’héritabilité des traits de comportement.
« Heritability of Anxiety-Related Traits in Dogs » (Wang et al., 2014)
Cette étude a utilisé un large échantillon de chiens de différentes races, et les traits évalués incluaient divers aspects de l’anxiété, tels que la peur des bruits forts, l’anxiété de séparation, la nervosité générale, et les réactions à des stimuli stressants ou inconnus.
📊 Résultats :
- Les résultats ont confirmé qu‘il existe une composante génétique significative dans les traits liés à l’anxiété chez les chiens, avec des coefficients d’héritabilité pour les différents traits anxieux variaient généralement entre 0,2 et 0,4, ce qui indique que 20 % à 40 % de la variation de ces traits peut être expliquée par des facteurs génétiques. Ces résultats sont cohérents avec ceux de l’étude de 1984.
- En plus de la composante génétique, l’étude a révélé que l’environnement dans lequel un chien est élevé et vit joue un rôle crucial dans le développement de l’anxiété. Les expériences de socialisation, l’exposition à des situations stressantes, et les interactions avec les humains et d’autres chiens sont autant de facteurs qui peuvent moduler l’expression des traits anxieux. Par exemple, un chien génétiquement prédisposé à l’anxiété peut voir ces traits atténués s’il est bien socialisé dès son plus jeune âge, ce qui est quand même extrêmement intéressant, nous allons y revenir plus tard.
- L’étude a également souligné l’importance de l’interaction entre les gènes et l’environnement. Par exemple, les chiens avec une prédisposition génétique à l’anxiété peuvent devenir plus anxieux dans des environnements stressants ou moins anxieux dans des environnements sécurisants et enrichissants. Cette interaction montre que la génétique ne détermine pas de manière absolue le comportement, mais qu’elle interagit avec l’environnement pour façonner le comportement final du chien.
Et l’anxiété de séparation ?
Si on regarde ce qu’il se passe du côté de l’anxiété de séparation en particulier, une étude menée par Scott et al. publiée en 2014 et qui s’est intéressée à une large population de chiens de races différentes, a montré une composante génétique significative, de l’ordre de 0,3 à 0,4, ce qui signifie que 30 à 40 % de la variation dans les symptômes d’anxiété de séparation peut être attribuée à des facteurs génétiques. Ces résultats ont été confirmés par une seconde étude menée publiée par Duffy et al. en 2015 qui s’est concentrée sur les Border collies en particulier, et qui a montré une composante génétique significative dans les comportements d’anxiété de séparation avec un coefficient de 0,4 à 0,6, ce qui signifie que que 40 à 60 % de la variation dans l’anxiété de séparation pourrait être attribuée à des facteurs génétiques.
Les traits comportementaux et l'apparence physique : Y a-t-il un lien ?
Il existe des indices suggérant que certaines caractéristiques physiques, comme la forme du crâne ou la couleur du pelage, pourraient être associées à des comportements spécifiques. Cependant, ces associations sont complexes et influencées par de nombreux facteurs.
Pour citer quelques exemples, certaines études ont suggéré que la forme du crâne pourrait être liée à certains traits de comportement. Par exemple, les chiens brachycéphales (à face plate, comme les Bouledogues ou les Carlins) pourraient avoir des comportements différents de ceux des chiens dolichocéphales (à museau long, comme les Lévriers). Des différences dans le champ de vision, la perception sensorielle, et même la respiration pourraient influencer des comportements comme la réactivité ou l’anxiété.
Il y a également eu des spéculations et quelques études sur le lien entre la couleur du pelage et les traits comportementaux. Par exemple, certaines études ont suggéré que les chiens à pelage noir ou sombre, comme les Labrador noirs, pourraient être perçus comme plus intimidants ou réactifs, mais il semblerait que cela soit plus lié à des biais humains qu’à des différences réelles dans le comportement.
Une étude a par exemple trouvé une légère association entre la couleur du pelage et le niveau d’anxiété chez les Labrador Retrievers, mais les chercheurs ont souligné que ces différences étaient modestes et que de nombreux autres facteurs devaient être considérés.
Mais il faut aussi se rappeler que la sélection artificielle, qui a conduit à des différences considérables dans l’apparence physique entre les races, a également influencé le comportement. Par exemple, les Terriers ont été sélectionnés pour leur ténacité et leur agressivité envers les nuisibles, ce qui peut parfois se traduire par des comportements plus réactifs ou agressifs, tandis que les chiens de compagnie, comme les Cavalier King Charles, ont été sélectionnés pour leur tempérament doux et amical, ce qui peut être observé dans leur comportement généralement calme et peu agressif.
Il y a aussi l’étude sur les renards, menée par Dmitry Belyaev, un généticien russe, et ses collègues dans les années 1950 en Russie, et qui s’intéressait à la domestication des renards argentés (une variante de renard roux) pour leur tolérance à la présence humaine, un trait qu’ils ont appelé la « distance de fuite ». Les renards qui montraient le moins de peur envers les humains étaient choisis pour se reproduire.
Au fil des générations, les chercheurs ont non seulement observé des changements dans le comportement des renards, qui sont devenus plus dociles et sociables, mais aussi des changements morphologiques. Parmi ces changements morphologiques, on trouve des caractéristiques typiques de la domestication, telles que des museaux plus courts, des oreilles tombantes, et des variations de pigmentation dans leur pelage. Ces résultats ont été interprétés comme une preuve que la sélection pour des traits comportementaux peut entraîner des changements dans l’apparence physique, il semblerait donc logique que l’inverse soit réciproque également.
Conclusion : que cela signifie t-il pour nous, proriétaires et professionnels du chien ?
La compréhension de l’héritabilité des traits comportementaux est une mine d’informations pour les éleveurs et les propriétaires de chiens. Elle permet de prendre des décisions plus éclairées, que ce soit pour choisir un chiot ou pour comprendre et gérer les comportements d’un chien adulte. Si votre chien présente des signes d’agressivité ou d’anxiété, rappelez-vous que ces comportements ne sont pas entièrement de votre fait. La génétique, combinée à l’environnement et à l’éducation et en particulier à la socialisation et la familiarisation, façonne le comportement de votre chien.
Pour tous ceux qui travaillent sans relâche pour aider un chien réactif ou anxieux, sachez que vos efforts sont importants 💪. Vous faites de votre mieux dans une situation complexe où la génétique joue un rôle clé. Continuez à avancer avec patience et compréhension.
En cas de besoin, pensez à vous faire accompagner par un professionnel formé et de confiance, votre chien vous remerciera.
Si cet article vous a plu, n’hésitez pas à nous le dire en commentaire, et à le partager pour qu’un maximum de personnes puissent accéder à ces informations 🙂